Dominique Henry
L’église romane de Dugny conserve, depuis 1979, cinq sarcophages qui proviennent de la nécropole mérovingienne de la Redoute. En 2005, l’édifice pris en charge par la Communauté de communes est restauré pour devenir un centre culturel. En 2019, les membres de l’association Archéologie et Paysages en Meuse (APM), soutenus par la Codecom Val de Meuse-Voie Sacrée, ont débuté un travail de restauration des sarcophages qui, exposés dans « La vieille église », s’achèvera en 2020.
Ces sarcophages ont été mis au jour lors de la construction d’un lotissement communal au lieu-dit « La Redoute » à Dugny, sur le versant rive gauche de la Meuse. Cette vaste nécropole (associée à un petit sanctuaire gallo-romain) a fait l’objet de trois campagnes de fouille entre 1977 et 1990. 274 tombes du Ve siècle au IXe siècle ont été étudiées (dont des sépultures en pleine terre, des sarcophages et des coffres). L’étude des sépultures a permis d’approcher la vie quotidienne de nos lointains ancêtres : les usages funéraires et l’état de leur technique (bijoux, armes).
Cet échelonnement des inhumations sur plus de quatre cents ans témoigne d’une permanence de l’habitat à Dugny qui se prolonge par la construction, 500 m à l’est, de l’église romane au XIe et au XIIe siècle. Eglise romane où des sondages archéologiques réalisés en 2009 ont mis en évidence, à partir de -1 m, les bases d’un édifice plus ancien, d’un sarcophage en pierre, « à rapprocher de ceux entreposés dans l’église et qui proviennent de la nécropole de la Redoute », ainsi que « des petits fragments de céramique romaine ».
Il est donc important de replacer ces cinq sarcophages, une fois restaurés, dans leur milieu culturel, à savoir l’église romane. Tâche à laquelle se sont attachés les membres de l’association qui après nettoyage, lavage et identification des différentes pièces reconstituent, façon puzzle, les sarcophages qui sont renforcés par des tenons en inox et par collage avant le jointoiement final. Cette opération bénéficie de l’aide et des conseils techniques de Denis Mellinger, sculpteur sur pierre, ainsi que du soutien de Jacques Guillaume, médiéviste, qui est, à la demande du Service Régional de l’Archéologie, l’auteur d’un rapport sur les sarcophages conservés dans l’église.
Si dans le passé, comme le rappelle Jacques Guillaume, les découvertes de sarcophages ont été nombreuses dans le département de la Meuse, beaucoup ont disparu à l’exception de ceux conservés au musée de la Princerie à Verdun et au Musée Barrois à Bar le Duc. Les sarcophages de Dugny sont en calcaire oolithique du Perthois, ils proviennent d’ateliers de production du secteur de Savonnières-en-Perthois (Sud meusien) actifs à l’époque mérovingienne.
Déroulé des opérations de remontage
Michel Reeb
À la suite de la demande, au printemps 2019, de Catherine Géniale, responsable d’Arcature au sein de la Codecom Val de Meuse-Voie Sacrée, l’association « Archéologie et Paysages en Meuse » (A.P.M.) a répondu favorablement au projet de remontage et de restauration des cinq sarcophages stockés sur des palettes dans l’église romane de Dugny.
Le devis présenté par Denis Mellinger, membre d’A.P.M. et sculpteur professionnel, a été en partie accepté fin mai, validant trois journées de travail avant la fin de l’année, pour la somme de 1000 € versée sous la forme d’une subvention à « A.P.M. »
Première journée de travail : samedi 20 juillet 2019
Sont présents : 10 membres de l’association encadrés par Denis Mellinger.
En préambule, Dominique Henry replace dans leur contexte historique la découverte et l’intérêt des sarcophages puis présente l’église romane de Dugny.
La première tâche est, bien sûr, de dépoussiérer (fig. 4) puis de laver tous les éléments (fig. 5-6) qui ont été mis à plat sur l’herbe (fig. 3).
Fig. 3 Fig. 4 Photos : Alain Taurelle
Fig. 5 Photo : Gisèle Auboin Fig. 6 Photo : A. Taurelle
Chaque morceau est ensuite mis à sécher au sol et annoté à la craie afin de préparer l’opération de remontage (fig. 7-8).
Grâce aux photos prises par Jacques Guillaume, le sarcophage n° 1, qui se distingue par son couvercle en pierre, est le premier à être presque entièrement reconstitué (fig. 9-10).
Fig. 7 Fig. 8
Fig. 9 Fig. 10 Photos : G. Auboin
Pendant ce temps, un autre groupe s’affaire à remonter le sarcophage n° 5 (fig. 11-12).
Fig.11 Fig. 12 Fig. 13 Photos: G. Auboin
A la fin de la journée, celui-ci a retrouvé une bonne partie de ses éléments (fig. 13
Deuxième journée : samedi 7 septembre 2019
Sont présents : 11 membres d’APM autour de Denis Mellinger.
Il s’agit de continuer et terminer le travail de nettoyage (fig. 14) des plus grosses pièces qui n’avaient pu être déplacées la dernière fois. Bien connu depuis l’Antiquité, le système des rouleaux placés en dessous des charges (fig. 16) se révèle efficace et moins pénible que le portage manuel (fig. 15).
Fig. 14 Fig. 15 Fig. 16 Photos: G. Auboin
Le collage des pièces doit s’effectuer avec un produit spécifique du type Epoxy à prise rapide. Il est consolidé par l’ajout de goujons en inox découpés à la disqueuse avant d’être placés dans deux trous concomitants (fig. 17-18).
Fig. 17 Fig. 18 Photos : Sabine Tylcz
La phase de collage (fig. 19-20) est très délicate car le droit à l’erreur n’est absolument pas permis, c’est pourquoi elle incombe uniquement à Denis Mellinger.
Fig. 19 Fig. 20 Photos : A. Taurelle
Le travail de reconstitution de chaque « puzzle » se poursuit (fig. 21), laissant deviner que certains sarcophages ne retrouveront malheureusement pas toutes leurs pièces.
Une première ébauche de leur mise en place dans l’église est décidée de manière collective ; la présentation en épis (fig. 22) à partir du mur ouest semble être la mieux adaptée à la configuration des lieux.
Fig. 21 Fig. 22 Photos : A. Taurelle
Troisième journée : samedi 5 octobre 2019
Sont présents : 12 bénévoles pour aider Denis Mellinger ; ils reçoivent les encouragements de Bernard Gilson, maire de Belrupt et de Karine Helminger, conseillère municipale à Dugny.
Le remontage des sarcophages est presque terminé, toutefois, quelques pièces sont manquantes alors que d’autres n’ont toujours pas trouvé leur place ; un second couvercle n’est qu’en partie reconstitué.
Commence alors un long et fastidieux travail de suppression d’anciennes taches de ciment et de résine laissées au cours d’un premier travail de restauration plutôt grossier (fig. 23). Les fragments, soigneusement nettoyés au petit burin (fig. 24) et à la pierre ponce retrouvent petit à petit leur aspect initial et peuvent ensuite être collés méthodiquement.
Fig. 23 Photo : A. Taurelle Fig. 24 Photo : S. Tylcz
On arrive maintenant à la phase de ragréage qui, selon la charte de Venise, doit être visible tout en s’inscrivant du mieux possible dans le projet de restauration. Denis Mellinger réalise un savant mélange (fig. 25) avec de la poussière de pierre de Savonnières, de la chaux, de la silice (sable) et des colorants naturels jusqu’à obtenir une pâte homogène par l’ajout d’un peu d’eau.
Un essai est réalisé sur le couvercle du sarcophage n° 1 (fig. 26) ; après séchage, il s’avère que la couleur est tout à fait satisfaisante.
Fig. 25 Fig. 26 Photos : S. Tylcz
Cet enduit doit être ensuite appliqué dans toutes les fissures et interstices à l’aide d’une spatule et d’une mince truelle appelée queue de renard (fig. 27). Après la démonstration du maître, quelques « courageux » se prêtent à l’exercice avec beaucoup d’application (fig. 28). La finition s’effectue au pinceau et à l’éponge (fig. 29-30). Ce travail se poursuivra sur trois samedis au printemps 2020.
Fig. 27 Photo : A. Rzepka Fig. 28 Photo : F. Rzepka Fig. 29 Photo : A. Taurelle
Fig. 30 Photo : S. Tylcz Fig. 31 Photo : A. Taurelle
A noter que Dominique Henry a utilisé cette dernière journée pour étudier précisément l’emplacement et la forme des perforations présentes dans le fond de trois cuves (fig. 31).
Quatrième journée : samedi 27 juin 2020 :
9 bénévoles d’A.P.M. sont au rendez-vous pour épauler Denis Mellinger, tout en respectant les règles sanitaires en vigueur.
Objectifs : poursuivre le collage des différents éléments et faire disparaître des parois intérieures et extérieures les coulures de résine et autres taches de ciment.
Pour cela, deux techniques sont utilisées : (fig. 29 et 30) petit burin et marteau d’une part et dremel (sorte de petite fraise) d’autre part. Il s’agit là d’un travail de patience qui ne décourage pourtant pas les bonnes volontés.
Fig. 29 Fig. 30 Photos S. Tylcz
Le collage concerne, cette fois, uniquement deux sarcophages sur les cinq qui sont à restaurer. Denis passe de l’un à l’autre avec une grande dextérité d’autant que certaines pièces ne joignent pas et qu’il faut trouver des systèmes de fixation avec des broches et des serre-joints (fig. 31-32). Trois boîtes de colle mélangée à du durcisseur pour une prise plus rapide sont nécessaires.
Fig. 31 Fig. 32 Photos S. Tylcz
A la fin de la journée, les sarcophages sont entièrement ou en partie reconstitués, sauf le numéro un, mais le travail de ragréage est loin d’être terminé.
Cinquième journée : samedi 5 septembre 2020 :
Une douzaine d’adhérents ont encore répondu présents pour terminer le travail de remontage sur deux sarcophages et poursuivre le ragréage sur les autres.
Le sarcophage numéro 1, dont la configuration est complexe avec ses formes convexes spécifiques, a été réservé pour la fin.
En premier lieu, un ultime toilettage minutieux (fig. 33-34) s’avère nécessaire.
Fig. 33 Fig. 34 Photos S. Tylcz
Le collage peut maintenant reprendre (fig. 35) malgré des pièces manquantes dans le fond de la cuve (fig. 36).
Fig. 35 Fig. 36 Photos M. Reeb
Pendant ce temps, d’autres bénévoles s’activent au ragréage (fig. 37-38) qui va permettre de colmater et de masquer les fissures et les joints avec la pâte préparée par Denis comme expliqué précédemment.
Fig. 37 Photo S. Tylcz Fig. 38 Photo M. Reeb
Chacun s’applique à sa tâche, la journée s’achève à la lumière des projecteurs (fig. 39).
Fig. 39 Photo S. Tylcz
Sixième journée : samedi 3 oct. 2020 :
12 membres d’APM présents pour cette dernière journée. La matinée est consacrée à la mise en place définitive des sarcophages. La disposition en épi avec un écartement d’environ 60 cm est réalisée en posant les cuves sur des tasseaux en bois afin d’assurer une bonne circulation de l’air (fig. 40-41).
Fig. 40 Photo S. Tylcz Fig. 41 Photo M. Reeb
Le pied de table gallo-romain et la plaque en calcaire (2e degré de l’autel ou plateau de la table ?) sont mis en place, grâce à la technique des rouleaux, après collage de l’angle fracturé (fig. 42-43).
Fig. 42 Fig. 43 Photos M. Reeb
Le pied est ensuite levé et déplacé avec un appareil de levage, appelé « chèvre », pour être posé avec précaution au centre de la table (fig. 44-45).
Fig. 44 Fig. 45 Photos M. Reeb
Le rebouchage des fissures et des joints nécessite beaucoup de temps et d’application mais le résultat en vaut la peine comme en témoignent les photos suivantes prises sur les sarcophages n° 4 (fig. 46-47) et n° 1 (fig. 48-49).
Fig. 46 : Avant Fig. 47 : Après Photos M. Reeb
Fig. 48 : Avant Fig. 49 : Après Photos M. Reeb
Ainsi restauré, ce sarcophage va pouvoir retrouver une partie de son couvercle. Cette délicate opération est réalisée avec succès à l’aide de sangles (fig. 50-51).
Fig. 50 Fig. 51
Photos M.
Reeb
Un second couvercle, plat celui-ci, mentionné dans le rapport de Jacques Guillaume n’a pu être reconstitué qu’en partie (fig.52). Il appartient probablement au sarcophage n° 2 dont les faces externes sont taillées, comme lui, à la polka mais il est trop incomplet pour être mis en place. Il sera donc exposé uniquement au sol.
Fig.52 Photo A. Taurelle
Présentation par Dominique Henry le 17 octobre 2020, de la restauration des cinq sarcophages provenant de la nécropole mérovingienne de Dugny, en présence notamment de Serge Nahant, président de la Communauté de Communes Val de Meuse-Voie Sacrée, qui a soutenu ce projet de sauvegarde du patrimoine local et régional (Photo A. Taurelle).